Ce blog est un produit de la collaboration Ellichris. Merci à Camille pour la mise en forme

mercredi 27 janvier 2010

lundi, journée de deuil

Ici le deuil est volubile, expressif, c'est une pleureuse dont les lamentations doivent porter plus loin que les autres.
Ici le deuil est noir, c'est un habit que chacun revêt pour un proche parent ou une lointaine connaissance.
Ici le noir est de circonstance, c'est la couleur que tout le monde doit afficher.
Ici la France est en deuil, c'est l'hommage qu'on attend de tous les expatriés.

Lundi, ce si petit pays s'est entièrement voilé de noir, sous un ciel qui riait aux éclats de soleil.
Sur les plages venaient s'échouer d'absurdes objets amenés par les vagues qui innocemment nourrissaient les sources d'autres eaux salées.
90 personnes, pas une famille n'est pas touchée.

Maintenant place aux rumeurs...

Sous les trombes d'eau et dans les souks

J'ai fini par aller à Tripoli samedi. Il s'est mis à pleuvoir très vite, très fort, alors que le matin à Beyrouth promettait une magnifique journée ensoleillée. Nous avons erré à l'abri des baches qui couvraient plus ou moins bien les souks. La pénombre qui régnait là était amusante, toujours à cause de la pluie, de son gris et des coupures d'électricité qu'elle provoquait. C'est à l'aveugle que nous avons mangé dans une mininuscule boutique où des matrones orientales venaient chercher du moghlabiyé (un plat traditionnel, qu'on dit très dur à préparer et qui nécessite un genre de pates fraiches qui ne sontplus produites que par de très rares commerçants) cuisiné par le vieux monsieur. Les grands yeux noirs de son petit fils regardaient ces trois droles de filles qui partageaient une assiette qu'il avait vu dévorée par plus petit que ça. Lui se tenait dans le seul coin de lumière de l'échoppe entre le faible jour qui se glissait dans cette étrange c(t?)averne et le feu qui chauffait l'immense gazinière.
Nous avons observé les imposantes barbes de la grande mosquée, couvertes de ces capes muticolores dont on affuble les occidentales à la provocatrice différence de teint.
Rien à voir avec Beyrouth encore une fois. C'est presque plus beau, puisque débarassé de cette mégalomanie et cet orgueil qui donnent l'impression aux chantiers beyrouthins d'être de nouvelles Babel. C'est plus pauvre, plus humble, plus pieux. Et avec cette gravité posait là par le poids de l'histoire et des vieilles pierres, perdues dans cette ville qui mélangent les époques.

lundi 18 janvier 2010

La Bekaa

La route est visible, reconnaissable, légendaire, avec ses serpents lumineux qu'on voit grimper du coeur de Beyrouth le long des flancs de montagne. Vers l'Est, l'orient qui s'approfondit, l'intérieur des terres, la Syrie le désert.
Route stratégique, théâtre des affrontements, nerf de la guerre. Ce cordon partage Beyrouth en deux, puis plonge dans les hauteurs, et redescend vers la fertile plaine.
Elle est un risque en elle même cette route, asphalte en mauvais état, conduite incontrolée, ravins visités par les accidentés. Cauchemar qu'on ne peut éviter, chacun un jour doit traverser, passer le premier col, pour finalement être récompensé.

Un virage, et l'humide plaine se déploie. Anciennement marécageuse, les villages -qui abritent des vestiges racontant sa position déjà stratégique dans l'antiquité- grimpent sur les pentes pour rester hors de l'eau. Une vue incroyable de la route, sur la succession de virages et la profondeur de la vallée. Quelques panaches de fumées s'élèvent ajoutant à la difficulté de percer le voile de mystère. Alors qu'on descend se précise les contours, les motifs, les découpages de parcelles agricoles. Un air de campagne, mais une campagne qui parait meurtrie. Les herbes sont abondantes mais courtes, les arbres très rares. Des dizaines de kakis attendent d'être cueillis,-taches orange vif dans un verger marron et gris, mais ont déjà pourri.
Les murs sont aussi gris qu'ailleurs, de ce béton nu et froid, auquel n'échappent que les riches villas trop modernes pour la rusticité des lieux.
A Anjaar, village arménien, on nous offre le café sur une table en pierre posée dans l'arrondi de terre créé par le tournant d'une rivière. Alors que l'eau est chauffée sur une gazinière dans la maison, le repas mijote sur un feu de bois extérieur contenu entre des briques, surveillé par la femme du jardinier druze aux doigts amputés.

Puis nous nous dirigeons vers Quaraoun, lac créé suite à l'élévation d'un barrage. Nous sommes à quelques km de la Syrie, des cols de montagnes se dessinent, frontière naturelle, ligne immatérielle. On ne sait pas vraiment à qui appartient tel ou tel sommet enneigé.
Au bord de l'eau nous profitons du soleil qui a promis de disparaitre ces prochaines semaines. Nous nous asseyons sur les pierres cassantes, faisons des ricochés, écoutons les échos des coups de fusil des chasseurs alentour.

Au détour d'une route, en vue des sommets, ce pays est fascinant dans sa juxtaposition paradoxale de paysages, des vues splendides à coté d'ignobles batisses en béton et des traces d'une urbanisation galopante.

Mais rarement un terrain a été autant chéri par les habitants d'un pays, pour le sang qu'il a couté, les générations qu'il a nourries, la brèche qu'il a ouverte, les convoitises qu'il a inspirées, l'histoire qu'il a écrite...

mardi 12 janvier 2010

What the hell are you doing here?

On m'en a demandé plus sur mon travail, on m'a dit que je ne décrivais pas suffisament ce que je fais et vis ici. Voici ce que j'avais écrit en réponse à tout ça. Un message qui aurait du être dans les premiers publiés, si j'avais été capable de l'écrire assez tot.

Les libanais, les jeunes surtout, se demandent pourquoi on aurait l'idée de quitter notre paradis européen, fait d'universités gratuites, de rues propres, de politiciens honnêtes (no comment) et de gros salaires pour venir ici : dans la saleté, la corruption, la plutocratie, et la misère ("mais tu comprends la voiture décapotable c'est maman qui me l'a offerte, moi je gagne rien"). Avant même que le coq français puisse chanter, le liban a été renié plus de trois fois pour ces luisants ailleurs et les belles idées qu'on s'en fait. Il faut alors expliquer, non non je ne suis pas folle vous savez. Ni masochiste d'ailleurs. Je n'ai pas non plus un amour sans borne pour le pays ou pour les hommes machos et bruns qui roulent des mécaniques inexistantes (sauf celles du moteur de la dite décapotable).
Un peu plus joliement dit, et pour des gens, comme mes lecteurs, qui n'imaginent pas que je suis venue là trouver un mari, je peu le dire comme ça :
Ce n'est pas un retour à la source, un voyage initiatique vers mes racines lointaines et oubliées, une reconnexion à la terre de mes ancêtres, une conscience soudaine de mon identité...
Ici je travaille, enfin non j'étudie, enfin non je travaille...enfin en fait les deux : je fais de la recherche. Thésarde? Non. Mémoire de master? non. Chercheur? (même si cette question là personne ne la pose puisque personne n'est chercheur à 16ans et que c'est l'âge qu'on me donne) non plus.
Une année de césure, une année pour prendre mon temps, me débarasser du sentiment désagréable émergé en janvier février dernier de n'être pas à ma place dans ces études qui tout à coup avaient cessées de faire sens. Un besoin de repartir, parce que Paris, pas plus que Toronto "felt like home". Et pour tout ça, l'obligation de présenter un projet cohérent à SciencesPo, stage ou travail, afin de suspendre ma scolarité.
Et cette opportunité d'aller au Liban travailler sur la pollution de l'air. Un projet de recherche qui me donnerait un aperçu de la vie pour et par la thèse avant que j'y plonge sans possibilité de retour.
Je suis arrivée avec de grandes ambitions, pas pour moi, mais pour mon étude, qui rêvait de dire qqch à qqcn.
Et j'ai découvert le Liban. Ses circuits officieux, ses conciliabules sans fin, ses administrations riches mais sans volonté, ses bureaux engagés mais sans visage...Ses lignes sans voix, ses leaders sans partisan, ses chefs sans équipe, ses mairies sans pouvoir, ses ministères sans ministres et ses ministres sans poste. et j'ai redéfini mon étude.
L'objectif global est resté le même : établir des recommandations de politiques publiques de prévention de la pollution de l'air à Beyrouth. Mais les méthodes ont évolué : armée du visage de la jeunesse sans parti je me suis lancée à l'assaut des forteresses de non-dits, des puits à projets avortés, des institutions de pierres jaunes qui dominent un centre ville façon village Disney. La quête étant de comprendre : qui pourrait mettre des milliers d'euro pour produire des chiffres si ces chiffres ne servent pas à quelque chose?

vendredi 8 janvier 2010

retour

Me voici revenue de trois semaines de vacances et autant de semaines de silence. Un volontaire éloignement de tout, trois semaines pendant lesquelles je n'ai plus pensé au Liban, un repos mérité quand on pense aux labyrinthes qui se tissaient dans ma tête à force de faire des gaffes, de vexer un grand père, d'être réprimander par une tante, de voir encore des amis partir pour de bons...
Trois semaines si pleines, si vides. Majoritairement passées à St Quentin, j'ai aussi parcouru les réseaux ferrés et apprécié leurs problèmes de cet hiver. Je ne suis pas allée partout où je voulais aller, je ne vous ai pas tous vu, je ne vous ai même pas tous parlé. Trois semaines si longues, si courtes.

Un retour. Au travail, lundi. Les quelques jours passés à Paris ont été productifs mais sur d'autres travaux. Il va falloir replonger dans mes recherches ici, s'immerger comme dans le smog marron qui couvrait Beyrouth à mon arrivée. Il y a tant à faire, sans que ce soit réellement défini.

Des appréhensions. Je ne voulais pas revenir et pourtant le soleil qui m'a accueillie, les airs d'été qui font croire que le temps s'est précipité m'ont faite sourire sincèrement. Les plaines gelées laissent place aux palmiers, les saisons se jouent de moi et il n'y a décidément aucune cohérence dans ma valise faite et défaite maintes fois la nuit dernière.

Un weekend pour dire adieu aux cernes et à la pâleur hivernale. Pour replonger dans la musique de la langue, et la solitude de ma chambre.

Je ne sais ce qui de tout cela m'a manqué, mais quelques messages à mon arrivée m'ont dit que je n'avais pas été entièrement oubliée et qu'une continuité s'établira. A moi de voir et vouloir.