Ce blog est un produit de la collaboration Ellichris. Merci à Camille pour la mise en forme

dimanche 29 novembre 2009

Imaginez

Vous êtes un thésard en géographie. Vous travaillez sur les paléoenvironnements (aka, si j'ai bien compris, la détermination de l'histoire sismique du Liban par l'observation sur des sites remarquables des traces laissées dans les couches géologiques par les événements successifs). Une thèse en géographie, c'est un terrain, encore plus que dans une autre discipline je pense.
Votre thèse vous la réalisez en co-tutelle, c'est à dire ici dirigé par un chercher français à grenoble et un chercheur libanais. Du coup sur vos trois années de thèse vous passez un certain temps en France.
Plein coeur de la deuxième année. Depuis plusieurs mois vous préparez votre terrain, déterminer les sites, demandez les (très nombreuses) autorisations, suivez le lancement du projet de plus grande envergure dans lequel s'inscrit votre thèse (qui lui prend du retard...comme tout projet de grande envergure ou comme tout projet libanais...ou d'autant plus de retard qu'il est les deux.)
Vous êtes courageux, vous, vous faites tout dans les temps. A la rentrée 2009 vous commencez à parcourir vos trois sites : trois grottes à trois points différents du Liban : Nabra et Chatawi, Jeita (très connue et gigantesque), et une troisième que je ne connais pas.
Nabra et Chatawi se situe sur une propriété privée, dans le Sud du pays. Territoire controlé par le Hezbollah, le propriétaire doit avoir qq affinités politiques avec eux, puisqu'un camp d'entrainement est installé là bas sur ce qui était avant une très belle ferme.
8 chiens gardent l'entrée, pour un civil, qui a les clés de tout (des maisons abandonnées où l'on vous laisse camper à la grille qui ferme l'entrée de la grotte). A chaque expédition il faut l'appeler avant, lui et le propriétaire, puis en arrivant, puis en partant.
Thésard prévoyant vous remplissez ces formalités à chaque fois avec une politesse à vous faire mal au dos de courbettes. Ce weekend également. Pour arriver dimanche et en finir avec cette grotte où vous avez passé des heures et des heures de votre vie, il vous faut venir relever quelques mesures de coupes, dessiner des profils, vérifier votre carto terminée, vous avez appelé et vous êtes vu assurer l'entrée.
Qu'à cela ne tienne, vous mobilisez votre équipe pour décoller de Beyrouth à 6h45 un dimanche matin. Deux accolytes se portent volontaires et viendront manier le dysto et l'appareil photo.
9h15 au bout de la route de pierres, vous arrivez récupérer les clés. Les chiens vous accueillent. Attente dans la voiture. On arrive enfin pour vous annoncer qu'on doit appeler qqcn. On vous le passe. Conversation en arabe (imaginez que vous la comprenez puisque vous etes thésard libanais).
Ce n'est pas possible de descendre dans la grotte aujourd'hui. On ne dit meme pas pardon. Comprenez, il y a entrainement. Weekend de fête sainte pour les musulmans, les forces armées du Hezbollah s'agitent dans le Sud? On vous remercie, vous ne descendrez pas la pente. Non vraiment, il y a entrainement.
Dans la voiture on plaisante, on propose de troquer les casques rouges contre les casques kakis et de s'entrainer avec eux...Mais vous le thésard vous regardez votre montre. 9h30, 3h que la journée est entamée et rien ne sera fait.
Vous voyez autre chose sur le cadran : le compte à rebours. Dans le cadre de la co-tutelle vous partez en France en janvier pour exploiter les données récoltées. Pas encore une grotte finie. Et un weekend plus ou moins perdu. Sans compter les heures de sommeil (ressource rare), les km de route (épuisants), le prix de l'essence (vous la payez très très très chère votre thèse), et plein d'autres riens qui s'entassent comme les armes des autres dont on parle plus haut.

Vous pouvez reprendre votre identité. Le thésard libanais la sienne. Et le site de Nabra et Chatawi les siennes géologiques et autres.

Au final la journée s'est finie dans d'autres grottes de l'autre côté du pays (pas le lointain Nord, juste au Nord de Beyrouth). Cavités non explorées, charmantes. Incroyablement sauvegardées aux milieux des immeubles de cette colline prisée qui a une vue sur la mer et un immobilier qui vaut de l'or. Topographie, et exploration, plusieurs heures pour des développement de qq centaines de mètres. On taira que Jeita fait 5000m, et on copiera le thésard dans sa décision de ne pas dramatiser.

En route vous remarquez le nombre de partis politiques qui s'affichent sur la voie publique : ce sont des fleurs sur le bas coté de l'autoroute qui forme le logo du Kataëb, les photos de tel ou tel leader de parti qui orne les villages selon leur appartenance, ou encore les terrains fermés en cas d'entrainement, les carrières de sables exploitées la nuit pour ne pas qu'un espion passant par là sache l'ampleur du revenu qu'elles représentent pour la puissante milice à qui l'exploitation a été confiée...Bref une conception assez particulière de la vie politique...
Imaginez ce que c'est alors être libanais. Si vous y arrivez, vous m'expliquerez.

mardi 24 novembre 2009

Un jour sans lumière

L'aube d'un matin sur la montagne. Air pur, reste de fraicheur de la nuit, premiers tirs des chasseurs ou du camp d'entrainement du Hezbollah situé juste à coté. Je nous prépare un nescafé sur le vieux réchaud amené pour l'occasion. (petit flash back sénégalais : lait en poudre, sucre et café dans un fond de tasse en plastique. La flamme bleu du réchaud aussi, qui évoquait cette chambre de widou sans autre lumière). On replie les draps étalés à même le sol. Tout rentre dans les sacs.

On sort nos casques, notre matériel de spéléo, on charge l'éclairage au carbure. Dysto, gants, combinaison semi imperméable. Quelques km à l'arrière d'une fourgonnette sur des chemins caillouteux.

Un petit ruisseau s'écoule vers une grille en fer déjà ouverte. On remplie d'eau le compartiment de notre système d'éclairage, et on fait claquer la molette sur nos casques. Nous voici équipées, avec une petite flamme sur la tête, qui sera pour les 6 prochaines heures notre seule source de lumière.

On quitte le soleil qui commence à chauffer les pentes. 8h du matin. L'expédition commence. Sensation étrange de s'enfoncer sous terre en ayant l'impression de grimper. On sait que l'on descend puisque l'air circule moins et qu'il fait étonnament chaud en comparaison avec la nuit glaciale que nous venons de passer. Pour retarder le moment où nous plongerons dans l'eau, nous traversons en opposition (pieds sur une paroi, dos appuyé sur celle d'en face) un des premiers couloirs. On parcourt le petit développement sur lequel nous allons travailler pour que j'en prenne connaissance. Il y a les pièges, le sol meuble et glissant, les pierres qui bougent, les prises cachées qui permettent de se hisser malgré le plancher qui glisse sous les pieds. La grotte est magnifique et la lumière jaune des flammes provenant de notre éclairage au carbure n'a rien des lampes frontales blafardes. Nous revenons sur nos pas, plongeons sans hésiter dans l'eau jusqu'à la taille. L'eau est à 13° mais ça ne semble pas si froid. On mesure les galeries à des points précis choisis pour les phénomènes géologiques dont ils portent des traces.
Ces galeries donnent une impression très contradictoire : un espace ressenti comme très réduit et pourtant la conscience de marcher au dessus de gouffres et de falaises. Le tout dans une lumière rare et une humidité feutrée.
On fait une pause au bout de deux heures, attendant d'entendre les voix de l'équipe qui doit nous rejoindre. Petit bout de chocolat. J'éteins ma flamme capricieuse (qui depuis qq temps bat la mesure dans un claquement qui a des airs de vacarme dans le calme des lieux) pour profiter du silence. Quelques minutes ou un peu plus, on entend des voix qui s'avancent et annoncent les 5 compagnons des prochaines heures.

Nous sommes sortis à 14h. épuisée pour ma part, j'aurai aimé m'allonger là et profiter du soleil déclinant pour sécher en douceur. Mais il fallait encore ranger toutes nos affaires, le matériel, charger la voiture...Quand nous avons repris la route, il faisait presque noir, les formes et paysages étaient difficiles à dicerner dans la pénombre environnante. Une longue journée s'était écoulée, mais sans que je réalise que les forêts environnantes avaient été balayées par la lumière d'un cycle solaire complet. Ces paysages restaient pour moi à l'état vague de fantomes de l'aube grisatre et de silouhettes découpées dans l'ombre du crépuscule.

Jolly Holiday!

Porté sur le parvis de l’aéroport, diner improvisé de bonnes choses récoltées pour l’occasion, toit n°1, 25° à l’ombre, jardin express, up down and up the hills again, marché mal négocié en arabe, déjeuner familial préparé avec amour, raouché, aub, hamra n°1, resto typique, bar alternatif, amis libanais, kneffé, café à l’université, ballade au soleil, expédition lowave, rivière de boue contre corniche branchée, galerie d’art de bord d’autoroute, tags, passage en arménie, Beyrouth en point cardinaux échec n°1, court métrage d’animation, discussions, rencontres n°1, toit n°2, danse au soleil, rires, Beyrouth en points cardinaux échec n°2, zaatar w zeit, hamra n°2, after school atmosphere, acte anti interdits et préjugés dans le centre ville chic, gastronomie libanaise raffinée, bar latino, mojitos n°1, danse n°1, verres offert par le barman, bar-couloir façon gemmayze, mojitos n°2, danse n°2, rencontres n°2, marche sous la nuit, prévision d’un retour.

Trois jours avec Stéphane.

vendredi 13 novembre 2009

et après?

Former un gouvernement c'était comme gagner Verdun : achever une bataille de longue haleine, qui a tant couté, mais qui ne détermine rien en elle-même. Cela laisse un gout amer, caractéristique en cette saison où l'on goute les premières olives nouvellement préparées. Deux jours de trêve, ou un peu plus, avant que les batailles ne reprennent, deux jours vides permis uniquement par le vague dans lequel flotte ce pays, si je peux me permettre encore aujourd'hui, non gouverné. Urgence il y a, tout le monde le sait, mais elle a été engloutie par les mois d'absence et de patience forcée. Que sont deux jours ou une semaine, quand les années n'ont pas apporté plus?
Demain ou plus tard, on recommencera à raccomoder le vieux manteau qui tombe en pièces. Peut être osera-t-on remplacer une manche ou chasser l'araignée qui s'y était installée. Mais qui penserait en tailler un nouveau?
Et les mites travaillent plus vite que les couturières...

mercredi 11 novembre 2009

émanations

Comme le ciel est gris! Ca donne un tout autre relief à la saleté qui parsème les rues. Les odeurs aussi deviennent insupportables, et donnent la nausée. Quand le temps se couvre sur Beyrouth, c'est toute la ville qui se fait poisseuse, recouverte par une immonde lumière et une chaleur visqueuse. Et dans cet air épais ne voyagent que les sons hargneux des chantiers qui creusent la terre, des voitures qui mangent l'espace et des avions qui menacent du ciel. Un petit air d'enfer, de métropole grouillante, affamée de ciment et de goudron brûlant.

Ironiquement, ce qui m'a fait écrire ce paragraphe, c'est la finesse qui semble, avec contraste, émaner de Paris. Hier Kurt Elling était en concert au New Morning. Le lustre de la culture, de la musique heureuse, florissante, épanouie et de la légerté. Le théatre, les concerts et le cinéma me manquent...Ou juste les gens qui connaissent, apprécient, et ne s'en gargarisent pas trop.

mardi 10 novembre 2009

bug

Juste pour prévenir que je dois avoir un problème avec mon ordinateur ou un programme quelconque: je ne peux pas laisser de commentaires sur mon blog...Pratique!
Du coup pour répondre aux questions :
- november rain : chanson des guns and roses, la citation elle est de Regina Spektor, et je l'avais utilisé pour parler du novembre canadien. Enfin ça ne vous intéresse surement pas, mais avoir des traces écrite de séjours ailleurs permet un souvenir d'une précision assez impressionnante. (non cam' ce n'était pas Pat, malgré ses solos à rallonge et ses pretty songs)
- oui oui ça parle français par ici. mais ces mots là sont partout : dans leur français et leur anglais autant que dans leur arabe. Je t'expliquerai tout ça quand tu arrives!!!

lundi 9 novembre 2009

tics de langage

des choses qu'on entend souvent par ici, onomatopés amusants ou phrases au sens significatif :

"uuuf" : aussi ridicule que cette exclamation puisse paraitre, c'est un grand leitmotiv du libanais qui parle français ou arabe. Ca exprime tout le désespoir des heures d'embouteillages et autres situations regrettable "uuuuf le nombre de voiture" "uuuuf tous ces jours à l'hopital" "uuufff le travail qui m'attend"...

"Pendant la guerre, blablabla...
- la guerre, laquelle?" : sans commentaire, on mélange les années et les guerres, repères temporels si réguliers qu'ils ne sont même plus fiables.

"akid akid" : le natürlich allemand, le bien sur français, le of course anglais. On s'y fait très vite...

"Je descends à l'université" : une faute de français propre aux libanais, puisque le verbe en arabe pour dire aller est le même que celui pour dire descendre. Donc mise à part que dans mon cas c'est vrai, vu que je descends du haut de ma colline pour aller à l'université, ça s'applique aussi pour les villages de montagne vers lesquels on monte ou les étages supérieurs.

"ya habibi"// "tohobârné" // "khayété": exclamation de la mamma libanaise pour le gamin qui vient de volontairement donner un coup dans son assiette, de la précieuse ridicule pour sa copine avant de faire tout un discours sur leur maquillage respectif,... Bref les expressions qui désignent les individus de cette tranche de population gâtée pourrie. Aussi un panel de mots qui veulent tous dire plus ou moins "mon/ma chéri/e". A prononcer avec la voix qui monte sur la dernière syllabe, pour les filles frolez le strident insupportable.

"C'est Beyrouth" : expression que j'ai apprise à l'équipe avec qui je travaille. En français c'est établi que ça désigne une situation bordélique. Je me demande d'où ça peut bien venir...

"Grand manitou" : toute personne en haut d'une hiérarchie : doyen, ministre, président, chef de département, recteur...Chacun ses adeptes et sa cour, chacun ses exilés et ses têtes de turcs.

"Service" : nom de ces taxis qui prennent plusieurs passagers selon leur destination et déposent au niveau des grands repères de Beyrouth (mes destinations : Sassine, Tobbiyé, Jdeydeh bel Galeries Khabbaz, Centre Ville, Gemmayze, Mustachfa Gitawi, Mono, Hamra tabaa'l HSBC). Prix : 2000 livres libanaises, soit un peu moins d'un euro. Au pluriel, on dit "servicén'". Comme beaucoup de mots français il se décline en arabe.

"wizara" : en arabe ça veut dire ministère, ce n'est pas sans rappeler un certain mot anglais, qui révèle la magie qui s'opère dans les institutions gouvernementales libanaises.

"tfadall" : en faisant sonner les "l". Un mot ô combien libanais, puisqu'il exprime l'invitation et est utilisé tout le temps. Pour accepter un passager dans une voiture, pour inviter à se servir d'un plat, pour faire passer devant soi, pour faire entrer chez soi, ... Un mot unique qui résume l'hospitalité d'ici.

mardi 3 novembre 2009

november rain

"that solo's awful long, but it's a pretty song" (ça ne vous rappelle rien?)

Goutte, filet, torrent, rivière, fleuve...Alors que l'altitude z diminue l'eau passe graduellement d'un de ces états à l'autre.

Ici la pluie est magique. Surtout celle-ci, la première de fin de canicule automnale. Tant attendue, ce n'est pas juste de l'eau. C'est un ciel, un vent, un bruit, un monde. Une déferlante de changements qui s'abattent sur la ville sans laisser le temps de s'ouvrir aux parapluies!

Elle s'amasse en nuages qu'on a eu le temps de voir arriver, de scruter, de craindre...et d'oublier. Un ciel uniformément gris (pas gris parisien, un autre gris), qui va avec le changement d'heure et sa compagne l'ampoule électrique. Puis c'est une averse, qui ne mouille ni ne refroidit pas plus qu'un arrosage automatique.

Ensuite enfle le vent. Un vent marin qui dégage un peu le ciel, pour finalement se vider de son sel, se calmer un peu et tourbillonner sous le plafond reconstitué de nuages.

Puis vient le bruit. Une explosion. La première m'a réveillée en pleine nuit, j'ai bondi de mon lit, et suis sortie au balcon chercher le foyer d'incendie. On pourrait revenir sur cette réaction qui dit quels souvenirs a réveillé ce bruit...mais ce n'est pas très intéressant. Revenons à nos nuageux moutons.
Le coeur battant devant la porte ouverte, une rafale la fait claquer. Je bondis à nouveau! je respire, sens la fraicheur dans l'air. Deuxième coup de tonnerre. Je le reçois avec un sourire, que le début de l'averse confirme. Et de là vacarme ininterrompu de trombes d'eau qui tombent, masquant les klaxons et autres bruits de la ville. Une continuité sonore apaisante qui me permet d'aller me recoucher.

C'est sur un autre monde que se lève le soleil. Au travers d'un voile de nuages qui continuent de pleurer à grosses gouttes, une lumière pale perce difficilement. Les verts sont plus sombres, les gris détrempés. Le long des pentes une cascade arc-en-ciel dévale sur le bitume, emportant les substances qu'a révélé la magie en gouttes. L'air se vide petit à petit de ses fumées, qui deviennent de visqueuses flaques noiratres. Et des monstres en forme de bouches d'égouts ouvrent des gueules béantes qui bouillonnent et font jaillir des rivières dans les rues bientot inondées. Traverser se fait sur des gués imaginaires ou en sautant dans les flaques. Je joue à la marelle avec les mares d'huile et les dépots d'essence dilués dans les torrents muticolores.

C'est un monde où je vis depuis une semaine coiffée d'anglaises de petite fille modèle.