Ce blog est un produit de la collaboration Ellichris. Merci à Camille pour la mise en forme

lundi 22 février 2010

forêt de pins

ces géants au large chapeau, qui laissent tomber pignons sur route, ont des pins la verdure et des airs de géants. Êtres déguingandés, ils découpent leurs formes biscornues sur les nuages qui, aux sommets éternels, tiennent conciliabule. A leurs pieds leurs épouses plient l'échine sans relâche. Et aux creux de leurs mains elles récoltent tendrement ces petits berceaux noirs qui abritent leurs enfants.
A couvrir de ses soins les graines si précieuses, la fiancée du pin porte les cheveux blancs de patience. Vous la verrez souvent, pendant des heures durant une pierre à la main, libérer de leur coque les fameux pignons de pins. Au rythme des coups, chaque pignon s'émancipe et la fiancée du pin a les mains qui noircissent.
Ces couples atypiques, vieille femme et arbre épineux donnent à ceux de la ville, les derniers gouts d'antan, à force de travail et de longueur de temps.

mercredi 17 février 2010

bridging the gap, s'émanciper des souvenirs ou du présent?

J'ai toujours beaucoup aimé cette expression en anglais, pour son caractère imagé sans vraiment me pencher sur la signification de ce slogan. Je me suis retrouvée à essayer de traverser un pont dressé seulement à moitié sur un fossé qui continue de se creuser dans les mémoires.
De quel gouffre parle-t-on? La rue de Damas, ou bandeau infranchissable entre Beyrouth est et ouest pendant la guerre. Aujourd'hui on passe outre, Hamra étant un quartier très couru le samedi soir. Mais à part les qq ilots de mixité, les quartiers sont encore très marqués par les séparations religieuses et communautaires.

Tout a commencé par une annonce en arabe, déchiffrée par Juliette, parlant d'un appartement à Ras el Naba. A tout hasard nous sommes allées visiter les lieux. Quartier populaire et musulman : une fois traversé la grosse route qui mène vers l'aéroport et les banlieues sud, chiites, les églises laissent place aux mosquées, les enseignes ne sont qu'en arabe, et les femmes sont majoritairement voilées. Mathilde et moi dans une chaude journée de travail trouvions nos jupes un peu courte en face de la femme du propriétaire. Mais nous étions les seules gênées.
C'est là que la légende s'arrête. Contrairement aux propriétaires chrétiens, au jeune couple dont on avait voulu l'appartement, ces soixantenaires n'ont pas fait la moue à l'idée que nous allions vivre avec un garçon ; ils n'ont pas non plus fermée la porte parce qu'on ne voulait louer que pour qq mois ; ni exigé que les visites soient limités. Bref, ils auraient fait de bons voisins de pallier.

Sauf que, le fossé n'était pas encore traversé. Une seconde visite, le pied du mur, la localisation donnée aux parents. Les choses ont pris un autre cours. La séparation reste infranchissable pour ceux qui ont vécu la guerre, et si ce n'était pas une interdiction, c'était un discours responsable et convaincant sur le risque que présentent ces quartiers où ont commencé les derniers "événements" de mai 2008. Les "si" qui planent sur le Liban se sont concrétisés au dessus de nos têtes : si qqch arrive vous êtes coincées chez vous, si les routes sont fermées vous n'allez nulle part, si on tire c'est d'abord dans les quartiers frontaliers, si l'on se bagarre c'est ici, si vous vous habillez autrement vous devenez pour certains des putes ou des blasphèmes ambulants avec les conséquences de ces étiquettes... Avec des si on voyait notre vie enfermées. Comment faire la part des choses entre le vrai et le mythe, la généralisation et la confiance qu'on a dans les individus qui seraient nos voisins, épiciers...
A ça s'est ajouté le débat qui piétine souvent dans ma tête : revenir à mon mode de vie indépendant ou continuer à vivre comme les autres libanais, dans la famille. Avec ses conforts et ses contraintes. Et devoir, si je m'en allais, justifier mon départ, sans avoir l'air de claquer la porte et dire que je n'avais pas apprécié ces nombreux mois.
Pour tout ça et en même temps sans vrai raison, nous avons renoncé à l'appartement. Je ne saurai dire d'où venait la décision, qui m'a faite pencher irrationnellement vers le choix rationnel de laisser mes parents dormir en paix, de maintenir le fragile équilibre familial dans un statu quo apaisé et de ne pas prendre cet appartement, ne pas m'installer de l'autre côté, ne pas aller au plus audacieux.

lundi 15 février 2010

et sur leurs fronts une croix de cendres

Premier jour du carême, pour marquer le début du jeune, une croix est tracée sur le front avec une poudre noire. Les plus fervents jeunent toute la journée, les autres le matin. Plus de dessert, ou de boissons alcoolisées. Voici les 40 jours de sobriété.
A la maison, il va falloir s'y plier.

jeudi 11 février 2010

une identité

Du roman de Kundera au sens mathématique du mot en passant par les débats actuels qui font rage en France, je reviens avec un titre bien pompeux pour un message en retard mais ancré dans le temps.

Dimanche 31 janvier 1h00 : Je fais mine de sortir du bar, je fatigue et le lendemain Maud et moi voulons sortir de Beyrouth. On me retient, m'arrache mes affaires des mains et détourne mon attention du départ pendant quelques minutes. Il fait toujours plaisir que sa présence soit appréciée.

Dimanche 31 janvier 1h30 : Je reviens là où mes affaires ont été posées. Mon sac est grand ouvert, mes clés par terre, je me maudis de ma négligence, étonnée quand même d'avoir pu laisser mon sac ainsi ouvert. Je ramasse et remet tout dedans. Là je réalise qu'il est vide. Le porte-feuille qui occupait l'espace de ce petit sac a disparu. Je regarde à coté de l'endroit où j'ai ramasse mes clés : rien. Sans paniquer (janvier/février : mois du flegme dans le cycle de ces dernières années), je cherche plus méthodiquement, vérifie et confirme l'impression : il ne reste dans mon sac que mon ipod et les clés abandonnées.

Dimanche 31 janvier 1h37 : Appel au centre de gestion de crise (aka papamaman). On fait opposition à la carte bleue, on liste les papiers perdus, on se fait conseiller de rentrer bien vite.

Dimanche 31 janvier 2h30 : Après une marche dans les rues de nuit, je me couche, la rage apaisée, mais ma bêtise grogne encore et m'empêche de dormir.

Dimanche 31 janvier 7h30 : Réveil spontané avec en tête l'inventaire de mon sac vidé (carte bleue, carte d'identité libanaise, permis de conduire, un peu d'argent et documents insignifiants)

Dimanche 31 janvier 10h30 : Départ pour Jbeil, oublions tout cela, j'ai assez d'argent pour les prochains jours, on avisera.

Lundi 1er février 11h: passage au consulat, de bureau en secrétariat, c'est dans une salle d'attente qu'on m'annonce la nécessité d'aller d'abord déclarer le vol aux autorités libanaises.

Mardi 1er février 9h: Visite du commissariat de Gemmayze, à l'entrée duquel on me dit que c'est au palais de justice qu'il faut déclarer un vol datant de plus de 24h.

Mardi 1er février 9h25 : passage par l'USJ où je récupère une escorte pour me rendre au palais de justice

Mardi 1er février 9h35 : arrivée à la première porte du PdJ, on annonce que l'entrée du public est à la prochaine porte.

Mardi 1er février 9h42 : On a contourné tout le batiment et passé 4 portes avant de trouver la bonne. On nous fait traverser la rue.

Mardi 1er février 9h45 : On s'adresse au vieux monsieur assis sur une chaise en plastique dans le garage pour qu'il écrive ma déclaration en arabe. Liste des papiers volés, noms, coordonnées, origine des parents, raam el sejel (numéro d'immatriculation de la municipalité libanaise dans laquelle je suis enregistrée)...Inconnu.

Mardi 1er février 9h55 : Enfin le monsieur nous remet le papier. On retraverse la rue pour le faire tamponner au 1er étage.

Mardi 1er février 10h : libérées du premier bureau il faut trouver le supérieur pour aposer un autre tampon. Du 1er au 3e étage.
On demande plusieurs copies du document afin de faire les démarches auprès des institutions libanaises ET françaises.

Mardi 1er février 10h24 : on attend toujours le tampon nécessaire à l'obtention de duplicatat du document. Puis on redescend dans le premiers bureaux pour obtenir une photocopie.

Mardi 1er février 10h46 : Retour au commissariat pour faire la déclaration de vol. Arrêtée par les gardes de l'entrée

Mardi 1er février 11h : on me laisse enfin passer en m'indiquant un bureau. Là un officier ne parlant pas un mot de français prend mon papier et se met à grifonner dessus. Il reprend mes coordonnées, non sans m'avoir redemandé mon raam el sejel (toujours inconnu). Il me fait comprendre que je dois revenir dès leur appel dans qq jours mais qu'en attendant il garde mon papier pour le faire tamponner. Aposer un tampon prend donc 3 jours.

Jeudi 3 février 7h : ma journée commence, avant de partir en syrie j'ai une visite d'appartement, je dois déposer des affaires chez moi, et revenir chercher Maud. Rien ne se passe comme prévu. C'est le moment où je réalise que dans le sac dévalisé se trouvait aussi mon appareil photo!

Jeudi 3 février 10h40 : Retour au point de départ, on prend nos sacs et direction la gare routière.

Jeudi 3 février 12h02 : Le bus démarre vers la Syrie mais en passant par la route longue.

Jeudi 3 février 12h40 : Le commissariat appelle pour me dire de venir récupérer mes affaires, qu'ils ont tout retrouvé! Je ne veux pas y aller, on me permet de ne revenir que mardi soir en rentrant.

Jeudi 3 février 16h : passage de la frontière, je ne peux sortir du Liban sans preuve de mon identité libanaise (malgré le visa posé sur mon passeport français).

Jeudi 3 février 16h16 : Appel du douanier au Commissariat pour obtenir un fax de ma carte d'identité libanaise qu'ils ont annoncé avoir retrouvée.

Jeudi 3 février 16h18 : la carte n'est pas retrouvé, le commissariat ne sait pas de quoi on lui parle...retour à la case départ, il me faut une preuve de ma nationalité libanaise.

Jeudi 3 février 16h25 : mon papa est mon héros, il m'avait toujours dit de balader avec moi mon passeport libanais périmé depuis 2004. Je peux finalement quitter le territoire comme franco-libanaise.

Jeudi 3 février 18h16 : Je suis sortie du Liban franco-libanaise, j'entre en Syrie Française (payant donc le visa gratuit pour les libanais)

[ellipse damasienne]

Mardi 9 février 19h15 : Passage de la frontière syrienne, paiement d'une taxe de séjour (aussi inextistente pour les LIbanais).

Mardi 9 février 19h45 : Passage de la frontière libanaise, le douanier me reproche ma nationalité libanaise non méritée vu mon arabe balbutiant. Welcome! Soyez la bienvenue! Comment se sentir chez soi... A nouveau il me demande mon raam el sejel, encore une fois je ne le connais pas. Il prend le numéro de mes parents et de mon grand père pour faire son enquete. A cette heure tardive, j'imagine les mines inquiètes de ces trois personnages si un douanier les appelle à mon sujet. Il semble vouloir me retenir jusqu'à ce que je le provoque avec un provocateur "Chou el mechklé?" (C'est quoi le problème?!). Il ne doit pas avoir assez pour me retenir, il me rend mon passeport et me laisse passer, sans avoir appelé les autorités parentales.

Mardi 9 février 21h : Commissariat de Gemmayze, on me regarde, on m'écoute, on rigole, on s'excuse. Aujourd'hui est un jour férié, ceux qui m'ont dit de passer chercher mon papier ne travaille pas aujourd'hui!

Mercredi 10 février 10h : RE Commissariat de Gemmayze, on me regarde, on m'écoute, on se gausse, on ne comprend pas. Je passe en force en disant que je vais au troisième étage et que si qqcn parle français ou anglais qu'il m'accompagne. Je me fais escortée vers le 1er étage où l'on m'envoie au troisième.

Mercredi 10 février 10h14 : J'interromps le petit déjeuner fastueux des officiers, celui que j'ai vu mercredi dernier ne veut pas me reconnaitre. On me fait redescendre, mon papier est ailleurs.

Mercredi 10 février 10h30 : 2e étage, devant un autre officier qui ne parle pas un mot de français ou d'anglais, on me reproche encore mon mauvais arabe et ma nationalité. On remplit à nouveau des papiers que je ne peux pas lire, on retrouve celui griffoné mercredi dernier...On m'envoie au 3e étage.

Mercredi 10 février 10h38 : On échange en arabe, on montre des papiers, on se regarde, on s'attarde sur moi, on se reregarde, on s'interroge. On me renvoie en disant que le papier est avec le sergent X et qu'il ne sera la que vendredi.

Mercredi 10 février 11h : Flegme. Je remets ma musique sur mes oreilles et reprend le marathon de la matinée, direction la fac et le boulot. Très fort The Kaiser Chiefs jam sur leurs guitares en chantant "Every day I love you less and less". On me tappe sur l'épaule.

Mercredi 10 février 11h04 : Un officier de la police libanaise se tient derrière moi essouflé, disant qu'il a couru les 60m qui me sépare du commissariat, et m'escorte pour qu'on me fasse mon papier.

Mercredi 10 février 11h08 : On entre sur son "Ya kharam..." (la pauvre, je suis allée la chercher le papier est dans le tiroir du bureau, pas besoin d'attendre le sergent X) Je ne saurais vous le rendre en arabe, mais je l'ai compris.

Mercredi 10 février 11h12 : retour au 3e étage, on m'installe devant le bureau d'un officier (surement plus haut gradé que les autres, à croire qu'ils grossissent avec le grade!). Il me regarde avec ces mêmes yeux torves vus vingt fois ce matin là, puis examine le papier que mon escorte lui tend. Nous regarde successivement, et annonce qu'il lui faut deux heures pour régler ça.

Mercredi 10 février 11h30 : je sors du commissariat, pas plus avancée qu'avant.

Mercredi 10 février entre 12h et 14h : j'attends l'appel...Qui ne viendra jamais.


TOut cela pour dire que j'ai perdu mon identité libanaise, et que je suis encore moins bienvenue ici que le touriste français de base qui voudrait légitimement déclaré un vol de porte-monnaie. A priori cette carte c'était rien, elle ne me servait jamais. mais voilà que pour la renouveler il va falloir ressentir à chaque fois que je n'appartiens pas à ce pays que je finirai par rejeter autant qu'il me rejette.

Pour l'amour de la bureaucratie!

mercredi 3 février 2010

delayed

Plus il y a des choses à dire plus les plumes sont muettes, ou lourdes aux poignets fatigués de transporter des sacs et de prendre des notes.

La vadrouille a marqué ces semaines, mais l'encre n'a laissé aucune trace.

Pour vous avertir pour une fois de son silence.

Demain, la route, la neige, et la frontière.

A la semaine prochaine.