Ce blog est un produit de la collaboration Ellichris. Merci à Camille pour la mise en forme

mercredi 17 février 2010

bridging the gap, s'émanciper des souvenirs ou du présent?

J'ai toujours beaucoup aimé cette expression en anglais, pour son caractère imagé sans vraiment me pencher sur la signification de ce slogan. Je me suis retrouvée à essayer de traverser un pont dressé seulement à moitié sur un fossé qui continue de se creuser dans les mémoires.
De quel gouffre parle-t-on? La rue de Damas, ou bandeau infranchissable entre Beyrouth est et ouest pendant la guerre. Aujourd'hui on passe outre, Hamra étant un quartier très couru le samedi soir. Mais à part les qq ilots de mixité, les quartiers sont encore très marqués par les séparations religieuses et communautaires.

Tout a commencé par une annonce en arabe, déchiffrée par Juliette, parlant d'un appartement à Ras el Naba. A tout hasard nous sommes allées visiter les lieux. Quartier populaire et musulman : une fois traversé la grosse route qui mène vers l'aéroport et les banlieues sud, chiites, les églises laissent place aux mosquées, les enseignes ne sont qu'en arabe, et les femmes sont majoritairement voilées. Mathilde et moi dans une chaude journée de travail trouvions nos jupes un peu courte en face de la femme du propriétaire. Mais nous étions les seules gênées.
C'est là que la légende s'arrête. Contrairement aux propriétaires chrétiens, au jeune couple dont on avait voulu l'appartement, ces soixantenaires n'ont pas fait la moue à l'idée que nous allions vivre avec un garçon ; ils n'ont pas non plus fermée la porte parce qu'on ne voulait louer que pour qq mois ; ni exigé que les visites soient limités. Bref, ils auraient fait de bons voisins de pallier.

Sauf que, le fossé n'était pas encore traversé. Une seconde visite, le pied du mur, la localisation donnée aux parents. Les choses ont pris un autre cours. La séparation reste infranchissable pour ceux qui ont vécu la guerre, et si ce n'était pas une interdiction, c'était un discours responsable et convaincant sur le risque que présentent ces quartiers où ont commencé les derniers "événements" de mai 2008. Les "si" qui planent sur le Liban se sont concrétisés au dessus de nos têtes : si qqch arrive vous êtes coincées chez vous, si les routes sont fermées vous n'allez nulle part, si on tire c'est d'abord dans les quartiers frontaliers, si l'on se bagarre c'est ici, si vous vous habillez autrement vous devenez pour certains des putes ou des blasphèmes ambulants avec les conséquences de ces étiquettes... Avec des si on voyait notre vie enfermées. Comment faire la part des choses entre le vrai et le mythe, la généralisation et la confiance qu'on a dans les individus qui seraient nos voisins, épiciers...
A ça s'est ajouté le débat qui piétine souvent dans ma tête : revenir à mon mode de vie indépendant ou continuer à vivre comme les autres libanais, dans la famille. Avec ses conforts et ses contraintes. Et devoir, si je m'en allais, justifier mon départ, sans avoir l'air de claquer la porte et dire que je n'avais pas apprécié ces nombreux mois.
Pour tout ça et en même temps sans vrai raison, nous avons renoncé à l'appartement. Je ne saurai dire d'où venait la décision, qui m'a faite pencher irrationnellement vers le choix rationnel de laisser mes parents dormir en paix, de maintenir le fragile équilibre familial dans un statu quo apaisé et de ne pas prendre cet appartement, ne pas m'installer de l'autre côté, ne pas aller au plus audacieux.

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